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“Je me retrouvais pendant 4h devant mon assiette” : le témoignage de Pauline sur sa néophobie, la peur de goûter de nouveaux aliments

Des tomates, une pizza, du chocolat… Des aliments ou des plats banals et appréciés par beaucoup que Pauline (le prénom a été modifié), 25 ans, ne mange pas. Parce qu’elle n’apprécie pas leur goût ? En réalité, elle ne le connaît pas, car elle n’a jamais pu les manger. Pauline est néophobe, une phobie qui impacte sa vie au quotidien et sur laquelle elle a pu enfin mettre un nom il y a quelques années. Elle s’est livrée sur les contraintes qu’elle doit affronter au quotidien et apporte son éclairage sur cette phobie méconnue.

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La néophobie, c’est quoi ?

J’ai toujours su qu’il y avait quelque chose qui n’allait pas. J’étais extrêmement compliquée et je sentais qu’il y avait quelque chose qui bloquait, quelque chose de plus profond. Ce n'était pas juste un caprice.

 

Non, c’était bien plus que ça. Et il a fallu à Pauline de nombreuses années avant de mettre un nom sur une phobie qui limite drastiquement son alimentation et qui impacte sa vie quotidienne. Cette jeune femme de 25 ans caractèrise la joie de vivre avec son sourire éclatant, son regard malicieux et son rire communicatif. Parler d’elle n’est pas son exercice favori. Elle préfère nettement mettre en avant les autres. C’est pour cela qu’elle aime son métier. Entre Rouen et Paris, elle capture les plus beaux moments de vie en tant que photographe. “J'aime raconter des histoires, vos histoires”, peut-on lire sur son site. Pourtant, le temps d’un témoignage, Pauline a accepté de partager cette fois son histoire pour se livrer sur un sujet méconnu  : la néophobie, un trouble de l’oralité alimentaire dont elle souffre.

 

“Je n’arrive pas à manger normalement. Mais quand j’en parle, on ne me prend pas au sérieux, observe Pauline. C’est très tabou et peu connu. J’ai su mettre un mot dessus quand j’avais 19-20 ans environ. Je regardais l’émission « Tellement Vrai » dans laquelle une invitée parlait d’une phobie similaire à la mienne et je me suis dit “Wouah c’est vraiment un trouble qui existe”. Je me suis retrouvée en pleurs devant ma télévision en me disant : “Ah oui ok je ne suis pas folle, c’est un vrai truc”. J’ai fait mes recherches sur internet et j’ai compris que cela avait un nom et que c’était la néophobie alimentaire. 

 

Il y a plein de versions de la néophobie. C’est différent pour beaucoup de personnes. Cela se manifeste par une sensation de dégoût. Je ne sais même pas trop comment l’expliquer. C’est vraiment une phobie. Je n’ai pas peur de l’aliment mais le cerveau bloque complètement l’information de goûter. Je dis souvent “je n’aime pas ça” mais en réalité je ne sais pas si j’aime ou si je n’aime pas car je n’ai jamais goûté. Mon corps ne connecte pas à ma tête. Je ne peux pas manger. C’est très bizarre. Quand je suis dans une situation où je suis obligée de goûter un aliment, je suis en stress, je ne suis pas bien. J'ai une boule au ventre, je suis vraiment dans un état d’angoisse pur et dur. 

 

 

En général, c’est la phobie de goûter un aliment nouveau, mais ça peut être aussi dû à la texture, à la couleur des aliments et à l'odeur. Certains craignent le mélange d’aliments. En ce qui me concerne, je mange par exemple du riz et des haricots verts séparément mais si on les mélange, c’est impossible. – Pour l’omelette, il n’y a pas de problème, de même pour les pommes de terre. Mais si on me donne une omelette aux pommes de terre, je ne la mange pas. Ce sont des choses qui n’ont pas forcément de sens mais ce mélange d’aliments, moi, me donne envie de vomir instantanément. Directement, j’ai un réflexe de dégoût. 

" Je me retrouvais pendant 4h devant mon assiette"

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Étant petite, déjà, ma mère me confiait que j’étais difficile et que je mangeais toujours les mêmes choses. Je ne finissais pas mes repas. Je me retrouvais pendant 4h devant mon assiette parce que mes parents me disaient : “ Tu ne sors pas de table tant que tu ne finis pas de manger”. Je finissais par jeter les aliments à la poubelle.

 

A la cantine en primaire, c’était horrible et je n’en garde que de mauvais souvenirs. J’étais en CE1/CE2. Je me faisais tout le temps réprimander par les dames de la cantine parce que je ne mangeais pas. Elles restaient là, à me fixer, pour que je finisse l’assiette. Sauf que c’était impossible pour moi. Au lycée, je ne mangeais que du pain et un yaourt ou sinon rien du tout. C’était ça tous les midis. Et  il fallait que je supporte le regard de mes camarades et les remarques du genre “mais tu manges pas ?”.

"Il faut comprendre que la néophobie, ce n’est pas un choix"

Aujourd’hui je mange toutes les familles d’aliments en petites quantités. Les légumes, par exemple, je vais manger de la salade, des concombres, des haricots verts : c’est tout. Pour les féculents, ça va. En général pour les personnes atteintes de néophobie, les féculents ça passe mieux car quand on ne les assaisonne pas et ça n’a pas vraiment de goût. La viande, je peux manger du poulet, de la dinde et un petit peu de charcuterie. En revanche, la viande rouge, c’est impossible. J’ai un palais qui est très sucré donc je mange plus de choses sucrées. J’ai moins de problèmes à goûter. Mais j’ai déjà lu plein de témoignages de personnes pour qui c’est impossible de goûter des fruits ou des biscuits. 

 

Il y a néanmoins, certains aliments qui sont rédhibitoires chez moi. Par exemple, la tomate, peu importe la façon de la cuisiner, c’est impossible. L'odeur me donne envie de vomir. C’est une catastrophe. Le simple fait que quelqu’un cuisine de la tomate à côté de moi c’est très difficile à gérer. 

 

J’ai vu un psy pendant plus d’un an pour ça. A un moment donné, j’ai eu des exercices à faire. Je devais goûter des choses. Par exemple une carotte. Super compliqué à goûter pour moi. J’ai passé 30 minutes devant ma carotte à essayer de la manger. Je la mets dans ma bouche. Je l’ai croqué deux fois et je suis allée vomir. Et évidemment impossible d’en remanger derrière. .

 

Beaucoup de psychologues et diététiciens ne connaissent pas la néophobie. C'est quelque chose qui est très tabou dans le milieu médical. Depuis l’enfance, je parle de ce problème à des médecins pourtant aucun on n’ a mis le doigt sur ce problème. Souvent j’ai le droit à des remarques. Mais il faut comprendre que la néophobie, ce n’est pas un choix. C’est pas si simple que ça.

"Socialement, c’est compliqué aussi"

Le soir où j’ai mis un nom sur ce trouble, j'ai envoyé un message dans le groupe Whatsapp de ma famille avec mes parents et ma sœur. Ils ont pu lire un article sur le sujet. Mon père et ma sœur ont juste répondu un pouce. Ma mère, elle, m’a répondu qu’elle le savait : “Depuis toute petite, j’ai toujours su et c’est pour ça que j’ai jamais voulu te forcer à manger et que j’ai toujours dit autour de toi qu’on ne te force pas à manger et que tu le ferais quand t'y arriveras et que c’est une décision qui viendra de toi même”. 

 

Ma mère a conscience du problème. Pour mon père c’est différent. Il pense que je peux passer au dessus. Il est moins dans la compréhension. Et ne se rend pas vraiment compte que c’est un vrai trouble de l’oralité alimentaire. 

 

Socialement, c’est compliqué aussi. Quand je suis seule c’est juste contraignant de manger toujours la même chose, mais ce n'est pas un drame. Par contre, c’est une vraie obsession face à la nourriture quand tu sors.

 

Avec la famille, c’est énervant pour eux de toujours devoir penser au fait que je ne mange pas de tout. C’est une charge en plus.

 

Avec les amis, tu ne peux pas forcément aller au restaurant car tu vas être ultra exigeante sur l’endroit. Tu ne peux pas manger du tout. Et il y a très peu de restaurants où je peux aller. Je demande toujours à mes amis que l'on choisisse en amont un restaurant pour voir s’il y a des plats qui me conviennent. Généralement, c’est une assiette de frites. 

 

Une fois, un lendemain de soirée, mes amis sont allés manger au restaurant chinois. J’avais très très faim mais je n’ai rien mangé. Il n’y avait rien pour moi sur la carte. Je les ai regardés manger. Ce sont des situations qui arrivent très souvent. 

 

Mais le restaurant n’est pas le seul moment compliqué. Quand je mange chez quelqu’un c’est aussi délicat de ramener quelque chose. C‘est plus simple quand ce sont mes proches mais la belle famille, par exemple, c’est plus gênant et cela peut même être perçu comme de l’impolitesse. 

 

Les gens ne se rendent pas compte de la difficulté que cela représente. Je me rappelle une fois où j’étais parti en vacances entre amis. Ce qui était aussi un moment délicat. Mes copains m’avaient forcée à goûter des pâtes carbonara et j’ai failli vomir dans mon assiette. Ils étaient tous à me faire des reproches et à me dire : “C’est bon, tu vas pas faire la difficile tous les soirs”. Ils ne se rendaient pas compte à quel point c’était violent pour moi.  

"J’aimerais faire passer un message global de tolérance"

Je ne le vis pas très bien. Je pense que tu peux le vivre bien quand tu as réussi à faire suffisamment de travail sur toi. Mais au stade où j’en suis, ce n’est pas le cas. J’avais consulté une diététicienne quand j’avais 4-5 ans qui a dit à ma mère que cela passerait avec l’âge. Mais j’ai 25 ans aujourd’hui et je n’ai pas encore réussi à me guérir. 

 

J’ai vu un psy pendant un an et ça n’a pas marché. J’ai pris rendez-vous avec un hypnotiseur. Je me dis qu' on ne sait jamais. Je n’ai rien à perdre. 

 

J’aimerais faire passer un message global de tolérance. Arrêtez de vous soucier de ce que font les gens. Occupez vous de votre vie et eux s’occupent de la leur. C’est quelque chose qui peut paraître ridicule et qu’on peut ne pas comprendre. Même moi ça me parait ridicule, mais ça n’est pas pour autant qu’on doit se montrer méchant et juger. C’est un réel trouble psychologique qui a été démontré et qui est reconnu dans le milieu médical. On en souffre réellement. On vit avec ce trouble tous les jours, toute la vie. 

 

Pour les personnes atteintes de néophobie, sachez que cela peut se soigner. Je ne sais pas encore comment, je ne suis pas encore soignée, mais c’est possible. Il y a plein de témoignages de personnes qui arrivent à aller au restaurant, à manger ce qu’elles n’arrivaient pas à manger auparavant et que rien n’est définitif. Ce n’est pas parce qu’on n’y arrive pas aujourd'hui qu’on n’y arrivera pas demain !”  

Team_Neopobie 

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